Thursday, January 31, 2013

MISSING THE POINT



Dans quel champ sémantique le texte de présentation du travail d'XX place-t-il le lecteur ?
Quelle est la portée politique d’un tel énoncé ?
Est-on censé lire et trouver ça normal ?
Vous vous sentez comment? Insulté ou non-concerné ?

Je vous préviens, vous allez trouver que je suis très très méchante d’oser dire que le texte d’XX est une violence faite au lecteur.
Pour ne pas que ça fasse règlement de comptes, j’ai changé les noms, car on ne critique pas l’institution qui donne les sous-sous et surtout on ne dit pas du mal des gens - nommément. XX peut penser que je goberai, mais je ne peux pas dire qui est XX. Ce serait diffamatoire.
XX n’est pas une star, mais elle est soutenue par des bourses institutionnelles et par des petites structures. Et là, je trouve que ça devient grave. Ou triste, plutôt.
-Mais où va-t-on, comme on peut lire dans les commentaires en ligne du Figaro?
Pourtant j’aimerais pouvoir faire des dossiers aussi convaincants que ceux d’XX à qui une certaine institution française vient de permettre de passer quelques mois à New York. C’est sur leur site, avec un lien qui mène au texte ci-dessus. J’en ai fait des dossiers de demande d’aide à cette certaine institution française. Mais ça n’a jamais marché. Ça ne devrait pas être si difficile pourtant. Je devrais faire pareil. Un copier/coller des premières phrases. M’approprier la technique, le style. Mais je ne peux pas.
Quand j’étais toute petite, mes parents me demandaient de m’abstenir de chanter en classe certains vers de la Marseillaise comme «qu’un sang impur abreuve nos sillons.» Il n’y a pas de sang impur, me disaient-ils, donc tu ne le chantes pas, tu ne le dis pas.

Mes prises de position, mon discours et ma pratique sont radicalement opposés à ce que je connais d’XX mais quelque part aussi «my work deals with issues of representation», mais non, je n’y arrive pas. J’ai l’impression d’une trahison. De trahir et d’être trahie. Les deux. J’ai honte. Je me sens stupidifiée, abêtite, connifée... et ce n’est pas ce que l’art est censé faire... Quoique... Peut-être qu’XX est géniale, et que c’est ça son truc.
-Faut aller voir quelqu’un, là, t’es malade !

-Oui, docteur, ça me rend dingue. J’ai beau lire et relire: «I’m interested by the meaning of exhibition/exposition (as to strip, to be exposed to external effects) applied to the situation of being an artist», je ne comprends pas. Le sens de l’exposition/exhibition ? S’agit-il ici de la signification du mot exposition ? Qu’est ce qui se perd dans la traduction d’exposition en exhibition qu’il faille garder le terme français ? Qu’est ce qu’un anglophone gagne dans la juxtaposition exhibition /exposition ? Est-ce que c’est moi qui ai un blocage, là ? J’exagère, vous trouvez ? Je sais qu’il y a le mauvais anglais qui n’aide pas, mais quand même, là, ce qu’on me dit, c’est: «vu que tu vas de toute façon l’accepter sans broncher, je te donne deux ou trois termes du discours contemporain sur l’art et ça va bien te suffire.»

Arhh, ça me reprend, ça me gratte. Pathos pathos pathos.
Aidez-moi. «To strip, to be exposed to external effects» est-ce que ça veut dire «déshabiller, mettre à nu et être exposé à des effets extérieurs» ? Où est l’intérieur ? Qu’est ce qui est à l’extérieur de quoi ? De quels effets s’agit-il ? Et de quoi sur quoi ?
Et puis il y a «applied to», enfin «into the situation of being an artist». S’agit-il de la position sociale de l’artiste, de sa situation matérielle, de son rôle politique dans la société ? Ce n’est pas clair. Ou alors ce n’est pas vrai.
Mensonges ? Héhé... Peut-on ici parler de mensonges ou s’agit-il seulement d’approximations ?
Et «les questions autour de la monstration, de l’institution d’art, de la représentation, et de l’unicité de l’oeuvre ainsi que de ses propres archives et la documentation de son travail»*, faut aussi que j’avale, là ? Y’en a des notions qui sont convoquées, ici, hein! Peut-être que quelqu’un qui aura reconnu le discours et qui connaît bien la «pratique processuelle» d’XX pourra m’expliquer, car là, je suis perplexe. J’aurais aussi besoin de précisions sur les questions de sous-traitance et d’inclusion d’oeuvres d’artistes dans les siennes. Je voudrais bien savoir. Car moi aussi, je voudrais aller à New York.
-Reprenez donc votre rêve, ou en étiez-vous?
-Là-bas, à New York, docteur, «elle va poursuivre sa recherche autour de formes générées par la notion d’exposition.»* Là, je vous voir venir, vous trouvez ça pas bien, cette critique personnelle. On est dans l’affect ? C’est malveillant ? Je suis méchante de la citer ? Alors aidez-moi: la notion d’exposition engendre... euh... la notion de visite? Celle de critique ? S’il c’était agi de la cimaise, du socle ou de la blancheur des murs, elle aurait peut-être parlé de scénographie. Sauf qu’on ne peut pas vraiment dire que la scénographie soit «engendrée par la notion d’exposition.» Ce serait comme dire que la notion de théâtre engendre la mise en scène, ou le costume, ça fait bizarre, non, comme logique d'engendrement... Ou alors on convoque tout le monde chez le proviseur: c’est le contexte des productions culturelles, le white cube, le dossier de presse, la comm, les coûts de production, le sponsoring, le regard du spectateur, le transport des oeuvres, l’assurance, la documentation, le vernissage, le dîner d’après vernissage, les chaussures qu’il est de bon ton de porter, ce quil faut dire et ne pas dire aux amis de l’artiste, aux attitudes du public dans la galerie, les questions face à une oeuvre posthume, les thèmes, le prix d'entrée des musées, la starification des curateurs...

STOP/ POSONS-NOUS DES QUESTIONS !

J’ai l’impression de me faire arnaquer. Et je suis polie. Mais:
-Est-ce cruel ou malhonnête de ma part de citer cette logique bancale ?
-Est-ce malintentionné de dénoncer une pratique qu’on pense politiquement questionnable ?
-S’agit-il ici d’incompréhension, de moquerie ou de ressentiment de ma part ?
-Suis-je malfaisante de m’attaquer à XX ? Vicieuse ?
-Faut-il s’abstenir de faire des commentaires ? Mais comment fait-on pour rester aussi docile?
-Suis-je débile d’oser demander pourquoi une certaine institution française soutient ce travail ?

STOP/ QU’EN DIT-ON?

-T’es juste jalouse !
-Ben oui, New York, 7 000 euros, je suis jalouse, enfin, envieuse plutôt.
-Mais à quoi ça sert de t’opposer à XX, de te définir contre quelque chose ?
-Ben, on me parle, alors j’écoute… Et ça me positionne. Ça nous positionne tous ça. Comment rester neutre? On fait semblant de ne pas avoir remarqué ?
-C’est du hate speech ta newsletter ! Tu ne peux pas ne pas casser quelqu’un ? Elle t’a rien fait XX !
-Euh, je casse quoi ? Qu’est ce qui est cassé exactement ici ? Qui est cassé ? Elle ? Moi ? Nous ?
C’est certain, cela aurait été plus facile de critiquer les paroles de Depardieu sur la grandeur démocratique de la Russie. Je ne risquais strictement rien. Mais annoncer qu’une présentation d’artiste est un acte politique et qu’on n’est pas d’accord, c’est très atroce. Ah, c’est horrible. Là, tu vas trop loin. C’est personnel et le personnel est politique, et quand c’est trop personnel, eh ben c’est méchant.
-Euhh, c’est pas plutôt trop politique du coup?
-Non, c’est diffamatoire.
-Aïe, alors qu’en fait, il n’y a rien de personnel là-dedans.
-T’as qu’à laisser passer.
-Oui c’est vrai, on peut toujours tout laisser passer. Vous connaissez Kacem El Ghazzali ce jeune marocain qui est le premier à avoir osé dire publiquement qu’il ne croyait pas en Dieu ? C’était pas du hate speech dans son cas mais un sacré courage. Et, dans notre milieu privilégié (enfin, en comparaison) on ne pourrait pas dire qu’on n’y croit pas, au discours d’XX parce qu’elle est soutenue par les institutions et par des structures indépendantes ?
-Pourquoi ne pas chercher ce qu’il y a de positif là-dedans ?
-Là, je suis trop marquée par mon éducation protestante de m.rde. Je ne peux pas dire comme je l’ai entendu d’un de ses proches: «Ça fait de la compétition en moins…» C’est drôle, je n’ai jamais imaginé les artistes comme des compétiteurs. Je n’ai jamais regardé la Star Ac. Je suis trop naïve. J’ai toujours considéré que plus les artistes étaient intéressants autour de moi, mieux c’était. Oui, c’est ça mon problème, ça me fait trop penser à la Bible ou au Coran, ces textes qui me rendent dingue. Le correcteur automatique me propose digne à la place de dingue mais non, c’est bien dingue. Le pouvoir du texte. La violence de l’adresse. Enfin, je parle pour moi. Ça me fait comme quand mon père lisait la Bible le soir, eh oui tous les soirs, pendant que mes petits camarades étaient devant le film de 20h30... Si vous vous repentez de vos péchés et croyez au Seigneur Jésus, vous serez sauvés…
Quand j’étais petite, je ne pouvais pas fermer les oreilles, là, c’est vrai, je pourrais fermer les yeux. Mais non, j'ai la maladie de l'analyse de texte.


STOP /VERFREMDUNGSEFFEKT !

Allons donc sur le New York Times pour un peu deVerfremdungseffekt, un peu de rythme dans le texte.
Evan kartz est un coach amour, qui propose à ceux qui se lancent dans la recherche de partenaires sur les sites de rencontres «comment écrire un profil qui attire les gens qu’ils désireraient rencontrer». Grace - bien sûr les noms sont changés, nous rassure la journaliste - Grace est une de ses clientes, une ingénieure de 49 ans, divorcée, et qui entend chercher l’amour comme elle résout des problèmes d’ingénierie. Katz lui conseille de se montrer comme elle est vraiment à travers des histoires vraies. Sauf que quand Grace raconte comment elle a appris l’humilité en nettoyant les toilettes dans un monastère Zen, il la reprend: «Ça c’est un peu trop barré quand même…» Avec un médium de masse comme l’internet, pour mettre en valeur ce qui est vraiment vous, il est préférable de choisir quelque chose de moyen plutôt qu’excentrique, explique-t-il. Tout le monde prend comme objectif le moyen, c’est pour élargir son marché.

Puis je vais sur info-bible.org, pour vous trouver un truc rigolo, et c’est direct, je trouve ça: «Croire, ne pas croire: en quoi ?» C’est étonnant comme question, non? C’est comme l’autre jour, je suis tombée sur la pièce de Lawrence Wiener bien difficile à traduire dans sa finesse et qui dit: «A bit of matter and a little bit more.» C’est génial, mais ça m’a fait bizarre, comme si c’était une pub. J’ai pas aimé du tout cette sensation.

STOP/ RETOUR AU SCRIPT.

Complétons les questions que ces deux textes soulèvent (celui d’XX et le mien):
-Une critique négative est-elle moralement acceptable ?
-Y a-t-il un intérêt à se prononcer contre le discours officiel ou est-ce forcément suicidaire ?
-Peut-on dire non ?
-Est-ce que ce ne serait pas un peu vulgaire par hasard?
-Faut-il toujours mieux dire oui quand il s’agit d’une certaine institution française ?
-Peut-on dire que le roi est nu ?
-Peut-on envisager un dialogue avec les institutions ?
-Peut-on dire qu’il s’agit d’une position politique ?
-Est-il tabou de dire qu’on ne comprend pas l’adresse d’un texte comme celui cité ci-dessus ?
-Oooooooh! Mais t’es qui toi pour être si méchante avec XX ? demande la gentille personne.
-Ah ben voilà unne bonne question: la légitimité des méchants. C’est vrai ça, qui suis-je moi, pour lire ce texte ? Qui suis-je pour recevoir un énoncé de cet ordre ? Qui suis-je pour penser qu’une institution française de ce niveau ne devrait pas soutenir un discours aussi faible ? Qui suis-je pour le penser et le faire remarquer? Qui suis-je pour oser dire que ce n’est pas sérieux. Qui suis-je pour me sentir ridiculisée et humiliée?

STOP/QUI SUIS-JE, MOI, POUR ME TAIRE?

Bon, il ne reste plus que quelques lignes.
J’espère que ça a été assez performatif quand même.
Respirez. Soufflez. On y va:
Madame, Monsieur,

Je sollicite par la présente l’aide du CNAP pour une recherche théorique autour de l’évolution des formes de performativité du langage de la communication dans le champ de l’art contemporain.
Celle-ci sera essentiellement fondée sur une méthodologie sociologique, tout en privilégiant une lecture foucaldienne et féministe des notions de discours et de stratégies du pouvoir. 

Elle se développera autour de ce qui constitue la spécificité de ces actes d’énonciation et les notions de performativité (Austen). Elle s’appliquera donc à étudier ce qu’en sont la terminologie, la grammaire et les concepts ainsi que leur relations rhizomiques (Deleuze et Guattari) tout en cherchant à montrer comment ces énoncés représentent aussi des gestes, des actions (Citton), plaçant ainsi le lecteur ou le public dans un registre politique. Autrement dit, il s’agira, après avoir identifié et analysé le matériau linguistique, d’examiner ce qui est joué ou (ré)-interprété. On posera aussi la question de la légitimité de prise de parole, du contexte dans lequel ce type de discours opère, du fonctionnement, à qui et à quoi ça sert, ainsi que l'influence que cela a sur les pratiques artistiques.
En parallèle de ce travail de réflexion, il est important pour moi de faire un lien constant avec ma pratique de plasticienne, c’est-à-dire de réfléchir aussi à comment ces questions s’inscrivent dans une discipline, et comment elles passent au public.
J’ai déjà travaillé sur certains aspects de cette problématique à travers une performance/conférence pour le Modern Art Oxford (God is a Virus, 2011), un texte publié par Gagarin (Everything should be said before one starts talking, 2011) et un texte illustré pour le magazine Pétunia (La monstruosité de l’adresse, 2012). Dans ces trois pièces, il s’agit plus particulièrement d’une mise en parallèle des discours religieux, publicitaires et de la communication dans le monde de l’art. Ce ne sont pas des essais mais des formes textuelles et performatives spécifiques. Depuis 2010, j’ai aussi envoyé par les réseaux sociaux et sur courriers électroniques une quinzaine de newsletters comme celle-ci sous le titre de la Fundación de la Rebellion.
Pour mener une étude véritablement sérieuse et approfondie, j’ai surtout besoin de temps disponible pour la lecture, le suivi de certains séminaires ou la rencontre avec des théoriciens ou artistes.
J’espère donc vivement que vous pourrez me soutenir dans cette recherche par la bourse que vous proposez.


* ma traduction



1 comment:

  1. A voir l'ampleur du champ que vous vous assignez, c'est donc une bourse A VIE que vous briguez ; bonne idée.

    J'ai adoré ce joli message ; non, il m'a terrifié, tant j'ai eu l'impression de m'y entendre : cette indécision (feinte, pure rhétorique ? / pas seulement, on ne se débarrasse pas d'une vieille culpabilisation, on peut la draper d'ironie pour la civiliser / et la demande finale, un dernier texte parodique ? mais les références à vos travaux sont bien réelles ; ultime parodie : c'est vous-même que la critique initiale vise)... l'investissement individuel par l'ingénuité de la "méchante" dans un discours critique objectif...
    Et puis ce parti de prendre les discours de communication au sérieux, de prendre au pied de la lettre les proclamations pour faire éclater leur simple imbécilité ou l'escroquerie de la connivence : parfait.

    JAG

    ReplyDelete